La Forteresse royale de Chinon accueille cet hiver Les Grandes robes royales de Lamyne M., une performance artistique qui est d'ores et déjà très appréciée du public. Cette exposition itinérante, initialement conçue pour la basilique cathédrale de Saint-Denis, vient "habiller" les logis royaux du 15 octobre 2016 au 02 janvier 2017.
Le tissu comme support d'expression
La Forteresse royale de Chinon présente en cette fin de saison touristique l'exposition Les Grandes Robes Royales de Lamyne M. De quoi surprendre agréablement le visiteur et renouveler le regard que l'on porte sur le monument. Après avoir été conçue pour intégrer la basilique Saint-Denis, nécropole des rois de France, celle-ci vient épouser à merveille cet autre cadre historique. Une quinzaine de robes imaginées par l'artiste-couturier Lamyne M. d'après les gisantes de reines et de princesses reposant à Saint-Denis ont a présent pris place dans les appartements royaux de la Forteresse.
Lamyne, d'origine camerounaise, vit et travaille en Seine-Saint-Denis depuis 2006. Il se sert de ses créations pour exprimer ses convictions et faire passer des messages. Son objectif principal est bien explicite : il confectionne des robes géantes et colorées à partir de tissus venus de divers horizons juxtaposés les uns aux autres pour créer le dialogue entre les peuples. Patchwork textile et patchwork ethnique, chacune de ses robes évoque la société cosmopolite dans laquelle nous vivons. La démarche artistique dépasse le cadre esthétique et revêt un aspect idéologique. Le tissu-textile évoque le tissu social. L'artiste sculpte des étoffes venues des cinq continents pour façonner des portraits de souveraines méconnues de l'Histoire de France, leur rendant ainsi hommage. Les robes de Lamyne tissent des liens ; elles cassent les frontières temporelles et géographiques. Ces réalisations composites provoquent la rencontre : comme un mariage entre les peuples, un appel à la tolérance et à l'ouverture d'esprit. En créant cette collection contemporaine et métissée pour la basilique Saint-Denis, Lamyne espérait bâtir une passerelle entre ce monument et la population environnante. Il lui semblait en effet primordial que les habitants de Saint-Denis, issus de 180 nationalités différentes s'approprient les lieux, en dépit de leur tendance religieuse ou de leur timidité. La création artistique place donc la culture comme vecteur de partage et d'intégration.
Plus qu'une exposition, un projet collaboratif
Cette exposition très "Haute Couture" est issue d'un projet collaboratif. Elle est le fruit d'un travail commun entre l'artiste couturier Lamyne, des élèves du Lycée professionnel de La Source à Nogent-sur-Marne, des femmes de la Maison de Quartier Floréal de Saint-Denis et l'association Franciade. Quinze robes surprenantes viennent exprimer la volonté de l'artiste : métisser les peuples, travailler et vivre ensemble, dans le respect de chaque identité historique et culturelle.
Parmi ces quinze pièces, une a été réalisée spécialement pour la Forteresse royale, celle de Marie d'Anjou. Son existence résulte d'un partenariat avec deux associations locales. Le travail de couture a été réalisé par ACTIVE (Tours), une structure d'insertion dédiée aux femmes, spécialisées dans le tri, la couture et la vente de textile. D'autre part, le socle a été confectionné par OBJECTIF (Amboise), association qui, entre autres choses, recycle les bois de palettes et travaille le métal. Ces métiers d'ordinaire très "masculins" sont ici représentés par des femmes chez OBJECTIF.
L'artiste Lamyne tenait à faire travailler des Structures d'insertion par l'Activité Economique pour réaliser cette nouvelle robe. Cela démontre que sa démarche artistique dépasse le cadre esthétique et qu'il définit la culture comme vecteur d'insertion.
Des gisantes du passé aux robes contemporaines
Lamyne M. relève les morts. Il remet sur pied des gisantes de reines ayant appartenu à des temps reculés et en fait des femmes contemporaines et cosmopolites. L'artiste camerounais a posé un regard sur les gisantes reposant dans la basilique cathédrale de Saint-Denis et s'est penché sur leur histoire de femme. De la sphère publique à la dimension plus privée. Il s'y est attaché. Après l'étude de leur parure, il nous offre sa propre vision de leurs toilettes.
Le vêtement, qui dans toute les cultures et à toutes les périodes évoque les moeurs, le rang social, la fonction et la personnalité de celui qui le porte devient alors clef de compréhension historique. C'est en quelque sorte une forme d'anthropologie archéologique du vêtement...
Lamyne prend des libertés avec l'histoire mais conserve un regard respectueux et admiratif pour ces grandes reines de France. Il tente même de les grandir dans le regard de ses contemporains.
Ouvrage d'orfèvre et gigantisme de l'oeuvre
La grandeur de ces femmes-reine transparaît dans le traitement des robes. Celles-ci sont littéralement géantes et mesurent toutes 3m de hauteur. De quoi surprendre le visiteur. Avant même que l'idée de travailler sur les gisantes de la cathédrale ne l'effleure, Lamyne avait exprimé sa volonté de créer des robes immenses. Il avait commencé à se faire connaître avec un premier projet intitulé "Je les vois grandes".
Ce gigantisme exprimé par les proportions s'oppose complètement à la minutie avec laquelle le travail a été exécuté. Nous n'osons imaginer le nombre d'heures de travail que ces ouvrages remarquables ont nécessité... Chacune des robes est composée d'un très grand nombre de pièces de tissus et les broderies et passementeries qui les enrichissent représentent un véritable travail d'orfèvre.
Finalement, la puissance du message émis par l'artiste se fait ressentir à travers les dimensions, les couleurs éclatantes, l'habileté technique, la pertinence du propos historique et ethnologique, l'aspect saisissant et décalé du rendu visuel.
Cela fait déjà une semaine que l'exposition est accessible et les premiers visiteurs ont déjà exprimé leur joie et leur admiration face à un tel travail. De quoi rendre confiant quant au succès de l'opération.
Les toilettes rêvées des souveraines
(catalogue non exhaustif)
Jeanne de France
Jeanne de France, née en 1351, était la fille posthume du roi Philippe VI de Valois et de Blanche de Navarre. Elle eut un destin tragique. Promise à l'héritier du trône d'Aragon, elle mourut à l'aube de ses 20 ans, dans la ville de Béziers, alors qu'elle se rendait à ses noces. Son gisant se trouve dans la Basilique Saint-Denis, auprès de celui de Blanche d'Evreux-Navarre. Mère et fille avaient été rassemblées pour l'éternité tandis que Philippe VI devait reposer avec Jeanne de Bourgogne, sa première épouse.
Lamyne a imaginé pour cette reine une robe en tissu tchadien bleu nuit et rouge Bourgogne avec un surcot court et échancré richement brodé. La robe comporte une frise de broderies dorées d'inspiration libanaise. Les travaux de couture ont été réalisés par Sandra Consani.
Jeanne de Bourbon
Jeanne de Bourbon, née en 1338 et décédée en 1377, était l'épouse bienaimée de Charles V. En 1377, elle mourut en couche. Elle et son époux étaient très soudés et le roi n'hésitait pas à la solliciter pour ses conseils avisés en matière d'art et de politique. "Elle est ma belle lumière et le soleil de mon royaume" avait-il dit.
Sa toilette créée par Anne-Violaine Svarez, sur les dessins de Lamyne, se compose d'une cotte en wax violet, d'un surcot à losanges très coloré et d'une cape violette doublée d'une étoffe imprimée.
Valentine Visconti
Cette princesse italienne, née en 1366, était la fille du duc de Milan. Elle épousa en 1389 Louis, duc d'Orléans, le frère du roi Charles VI le Bien-aimé (fils de Jeanne de Bourbon). Son mari fut assassiné sur ordre de Jean Sans Peur après 18 ans de mariage. Elle était la grand-mère du roi Louis XII.
Lamyne a voulu une robe composée d'une cotte en velours vert et d'un surcot en velours violet et jaune, orné de fourrure blanche en partie basse. Ce surcot est brodé au fil d'or d'une grande fleur de lys réalisée avec des dentelles superposées. Le plastron est bordé d'une large fourrure beige à poils longs. La tenue a été réalisée par la couturière Lola Benghiat.
Anne de Bretagne
La duchesse Anne de Bretagne, au destin peu commun, fut reine par deux fois. Née en 1477 à Nantes, elle fut l'instrument politique de son père François II : promise à plusieurs princes, elle était au centre des discordes pour avoir hérité du duché de Bretagne. Son mariage avec Charles VIII, célébré à la hâte au château de Langeais, scella la première alliance entre la France et la Bretagne. A la mort du roi, elle fut mariée à Louis XII qui dû pour cela rompre son union avec Jeanne de France. Cette souveraine au tempérament affirmé, soucieuse de préserver sa Bretagne natale, fut épuisée par ses trop nombreuses grossesses et mourut à l'âge de 36 ans au château de Blois.
La robe d'Anne est le fruit d'un travail collectif réalisé par les couturières de l'association Mod'estime dans le cadre du Festival de Saint-Denis. Elle se compose d'un tissu damassé jaune d'or fendu sur un velours rouge sombre. De larges manches évasées ont été réalisées en wax et velours ; celles-ci sont ornées de motifs qui évoquent le pourpoint médiéval.
Berthe au grand pied
Berthe au Grand Pied ou Bertrade de Laon, épouse du roi carolingien Pépin le Bref et mère du célébrissime empereur Charlemagne, était d'après la légende dotée d'un pied-bot... Née en 720, elle avait bonne réputation auprès des Francs. Dotée d'un caractère doux et affable, elle était perçue comme active pendant le règne de son époux à qui elle prodiguait de nombreux conseils.
La robe de Berthe, façonnée par Aurélie Fejean, créée une véritable surprise par le choix des textiles. La cotte a été réalisée en patchwork à partir de 35 blue jeans recyclés, composés de toile de denim réputée résistante et confortable. Un gorgerin en tissu wax tressé vient rehausser ses couleurs.
Marie d'Anjou
Marie d'Anjou naquit à Angers en 1404. Epouse du roi Charles VII, elle fut la seule reine de France à résider à la forteresse royale de Chinon. Principale occupante des lieux, elle orchestra l'aménagement des logis pour que ses appartements soient confortables et conformes à ses goûts. Elle passa 25 années dans cette forteresse où elle éleva ses deux enfants, Madeleine et Charles. Elle est vue comme "la reine oubliée" pour avoir vécu dans l'ombre de la favorite du roi, la belle Agnès Sorel. En 1463, après deux ans de veuvage et un pèlerinage à Compostelle, elle s'éteignit et alla rejoindre pour l'éternité Charles VII dans la Basilique Saint-Denis.
Lamyne aura voulu pour cette reine discrète, souvent vêtue de noir, une robe haute en couleurs afin de rendre justice à sa fidélité et son dévouement. La cotte est en wax à motifs de piques, coeurs, carreaux et trèfles. Le surcot présente des motifs circulaires jaunes et oranges, formant des losanges. Une cape en wax violet à motifs bleus, doublée d'étoffe rouge, est bordée en partie basse d'une fourrure de renard roux.
Cette réalisation de Bouyahmed Zoulika, Toton Harumi, Richard Gaëlle, Fricard Anahit, Chaa Faiza, Malkhassian Soussana a été spécialement conçue pour la Forteresse royale de Chinon, en hommage à sa plus célèbre occupante. Une grande robe aux couleurs vives pour une reine au rôle politique modeste qui fut peu représentée et valorisée en son époque. C'est une façon symbolique pour l'artiste de lui rendre justice.
Informations pratiques
HORAIRES DES VISITES GUIDEES (1)
janvier - février - novembre - décembre : 11 h - 14h -
15h
mars - avril et septembre - octobre : 10 h - 11 h - 14 h - 15 h - 16 h
1er mai - 31 août
: 10 h - 11 h - 14 h - 15 h - 16 h - 17 h
En juillet et août, les dimanches à 11h30, visite thématique :Reine de France, pouvoir réel et symbolique.
Les mercredis 27 juillet, 3, 10 et 17 août, Les mercredis de la Reine :
journées d'animations (pas de visites guidées).
TARIFS DE VISITE 2016
Plein tarif : 8,5 € (11€ Les mercredis de la Reine)
Tarif réduit (2) : 6,5 € (9€ Les mercredis de la Reine)
Gratuit : enfant - 7ans, demandeur d'emploi, journaliste
Carte ambassadeur (3) : 14 €
Pass scolaire (4) : 1,50 € / élève
Paiements possibles :
espèces, chèque, CB (> 6 €), chèques vacances, CLARC
Exposition comprise dans le droit d'entrée du
monument.
Atelier pour les enfants "les petites
tenues royales", du 20 octobre au 2 novembre 2016.
Texte & photographies : Emilie Boillot, Touraine Terre d'Histoire
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